Thomas EbbesenPhysical chemist
La médaille d'or du CNRS distingue cette année Thomas Ebbesen, professeur de l’université de Strasbourg et directeur de l’Institut d’études avancées de l’université de Strasbourg (USIAS). Portrait de ce grand spécialiste de la lumière au parcours exceptionnel.
"Je dis toujours à mes étudiants qu’ils ont encore bien des choses à découvrir dont on n’a pas la moindre idée aujourd’hui.» Thomas Ebbesen sait de quoi il parle. Sa trajectoire de scientifique est ponctuée de découvertes aussi majeures qu’inattendues. Avant de se faire un nom dans la communauté scientifique mondiale, le physico-chimiste franco-norvégien a parcouru le monde. Né en 1954, fils d’une artiste peintre et d’un officier de l’armée de l’air norvégienne, il grandit en Norvège. En 1964, toute la famille déménage à Paris. Excepté un séjour de dix-huit mois à Bruxelles, il vivra dans la capitale jusqu’à l’obtention de son baccalauréat, en 1972. Après une année passée à sillonner la planète à bord d’un cargo norvégien pour « prendre l’air », il choisit d’intégrer l’université d’Oberlin (Oberlin College, Ohio). « Le meilleur choix de toute ma vie », se félicite-t-il. Et pour cause : là-bas, il se prend de passion pour la chimie physique et rencontre sa femme : la pianiste japonaise Masako Hayashi."
QUE LA LUMIÈRE SOIT !
Après son diplôme d’Oberlin, une thèse de doctorat sur la photosynthèse artificielle à l’université Pierre-et-Marie-Curie et un post-doctorat au Notre Dame Radiation Laboratory (Indiana), sa carrière le mène à l’université Tsukuba, au Japon, où il est recruté par l'entreprise NEC. Chez NEC, il travaille entre autres sur les nanostructures de carbone, mettant en évidence les propriétés exceptionnelles de ces matériaux. Il met au point une méthode de synthèse de masse de nanotube de carbone. Ces travaux sont la source de nombreux brevets dont il est inventeur et lui valent l'Agilent Europhysics Prize en 2001. Un jour de 1989, il tombe sur un article du physicien Serge Haroche (prix Nobel 2012) décrivant l’électro-dynamique quantique en cavité. Puisqu’il est « curieux comme un enfant », comme nous a confié son épouse, il décide de mener lui-même une expérience sur le sujet et demande à un collègue de lui confectionner des nano-éprouvettes. Comprenez : une plaque de métal percée d’un réseau de trous cylindriques de 300 nanomètres de diamètre chacun, espacés régulièrement. Surprise : la lumière traverse le dispositif. Comment est-ce possible ? Les trous sont plus petits que la longueur d’onde de la lumière visible. Plus troublant : elle semble traverser une aire trois fois plus grande que celle occupée par les trous, comme si elle parvenait à franchir le métal !
Préparation des échantillons à l’aide d’un évaporateur par Thomas Ebbesen, Yantao Pang et Jérôme Gautier tous deux membres de son équipe à l'ISIS.
Huit années durant, Thomas Ebbesen va s’évertuer à percer ce mystère. Grâce à son entêtement, il y parvient : « Si, au départ, la probabilité qu’un photon passe à travers un trou est très faible, le réseau de trous agit comme une antenne qui concentre la lumière augmentant ainsi fortement cette probabilité, résume le scientifique. La concentration est telle qu’on se retrouve avec plus de lumière transmise que ne l’autorise la seule surface occupée par les trous. » De l’amélioration de la qualité des lasers aux sondes biomédicales ultra-sensibles, les applications sont évidemment très nombreuses. Il reçoit en 2014 le prix Kavli en nanosciences pour cette découverte.
SA NOUVELLE PASSION : LES ÉTATS HYBRIDES LUMIÈRE-MATIÈRE
En 1996, Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie 1987, le convainc de le rejoindre à l’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires2 (ISIS). De retour en France, il devient professeur à l’université de Strasbourg, tout en continuant à entretenir des liens forts avec les laboratoires NEC au Japon et aux États-Unis, à Princeton. À Strasbourg, Thomas Ebbesen et son équipe débutent un nouveau jeu et tentent de répondre à cette question : les interactions lumière-matière peuvent-elles modifier la matière ? Au bout de quelques années, les premiers résultats positifs tombent. Au départ, c’est l’incrédulité : « Les premiers journaux très cotés m’ont rétorqué que c’était de la science-fiction ! » « En effet cela paraît un peu comme de l’alchimie puisque nous arrivons à modifier par exemple la réactivité chimique simplement en faisant la réaction entre deux miroir…. » Et pourtant… L’hybridation matièrelumière ouvre de nouvelles possibilités et attire de nombreux regards, notamment du monde industriel : « ce sujet me passionne et je m’amuse comme je ne me suis jamais amusé de ma vie ! » Une preuve pour le physico-chimiste que la nature est pleine de surprises et que l’on n’a jamais fini de découvrir de nouvelles choses, comme on découvre sans cesse de nouveaux paysages. Et lorsqu’il se retire dans sa France profonde, au bord de la Creuse et contemple la beauté de la nature, « je me plais à me dire que j’ai, modestement, découvert certains de ses petits secrets. »
Le 9 septembre 2014, à Oslo, Thomas Ebbesen, Stefan W. Hell. et Sir John B. Pendry (de droite à gauche) ont reçu le prix Kavli pour leurs travaux en nanosciences, l’équivalent du prix Nobel dans ce domaine.
L’HYBRIDATION LUMIÈRE MATIÈRE
C’est en 2003 que Thomas Ebbesen se lance dans des recherches sur les états hybrides lumière-matière. Enfermées dans une cavité optique formée par deux miroirs, les molécules peuvent interagir avec les fluctuations électromagnétiques de la cavité. Le jeu pour le physico-chimiste consiste alors à ajuster la distance entre les deux miroirs jusqu’à ce que les champs électromagnétiques entrent en résonance avec les molécules, ce qui a pour conséquence de changer leurs propriétés. On dit alors que la matière et la lumière s’hybrident. Un des avantages de cette approche est de pouvoir par exemple baisser le coût énergétique d’une réaction chimique, c’est-à-dire agir comme un catalyseur. Ce type d’action intéresse évidemment l’industrie étant donné l’importance des catalyseurs depuis les pots d’échappement jusqu’à la pharmacologie.
Thomas Ebbesen, physico-chimiste
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CV
1976 : Licences en chimie et en biologie de l’université d'Oberlin, Ohio (États-Unis)
1981 : Doctorat en photochimie physique de l’université Pierre et Marie Curie (Laboratoire de biophysique du Muséum national d’Histoire naturelle1
)
1988 : Chercheur au NEC Fundamental Research Labs, Tokyo (Japon)
1989 : Lecture de l'article écrit par Serge Haroche et Daniel Kleppner sur l'électrodynamique quantique en cavité, paru dans Physics Today
1994 : Rencontre avec Jean-Marie Lehn, Tsukuba (Japon)
1994 : Chercheur au NEC Research Institute, Princeton (États-Unis)
1999 : Professeur de l’université de Strasbourg à l’Institut de science et d'ingénierie
supramoléculaires2
2005-2012 : Directeur de l’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires
2014 : Prix Kavli en nanosciences avec Stefan W. Hell et John Pendry